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84 Rafale, deux Mistral et une réflexion sur les « analyses » des questions de défense

Avec finalement 84 Rafale au compteur des ventes fermes, Dassault a réalisé en quelques semaines à peine ce que d’aucuns prédisaient comme impossible après une série de compétitions où l’appareil n’avait pas été retenu… en dépit de la préférence pourtant clairement affichée par certaines forces aériennes locales.

La vente appelle plusieurs commentaires. Le premier d’abord, sera adressé à ceux qui prédisaient que la suspension de la vente des deux Mistral à la Russie ne pourrait que limiter la crédibilité française sur le marché de l’armement – voire porter atteinte aux contrats en cours de négociations. Dont celui des Rafale indiens.

Une telle position était prise sans prendre en considération l’histoire des embargos français : aussi bien en Israël (Mirage 5) et en Argentine (Exocet et Super Etendard), le fait qu’un contrat n’ait pas été respecté pour des raisons politiques n’a jamais eu pour conséquence de porter atteinte aux négociations en cours par ailleurs. La raison en est simple et les travaux en études stratégiques l’expliquent bien : les ventes d’armes sont d’abord et avant tout des ventes de nature politique. 

Nombre d’excellents appareils n’ont jamais été vendus, là où des appareils médiocres ont pu l’être ; certaines négociations aboutissent là où d’autres sont tuées dans l’œuf. Ne serait-ce qu’en restant dans le domaine naval, la suspension des ventes de Mistral à la Russie aurait pu dissuader l’Egypte ou la Malaisie d’acheter des corvettes Gowind ou la première d’acquérir une FREMM… Point de déterminisme technologique, budgétaire ou même commercial en la matière donc.

Deuxième commentaire, ensuite. Si le politique prédomine, les facteurs économiques peuvent aussi entrer en ligne de compte. C’est ce qui explique notamment qu’il est plus intéressant de vendre 36 Rafale fabriqués à Mérignac qu’une centaine d’appareils construits en Inde. Les négociations sur les 126 appareils se heurtaient à l’exigence indienne d’une garantie fournie par Dassault aux appareils fabriqués en Inde.

Or, force est de constater que les standards de qualité indiens sont inférieurs aux français. Garantir donc, mais à quel prix, aussi bien en terme des réductions de marge pour Dassault que de coûts pour l’Inde elle-même ? Et quid des conséquences que cela peut induite sur les négociations en cours ? Autrement dit, que l’Inde ne poursuive pas les négociations sur le contrat MMRCA n’est pas nécessairement l’échec qu’il a, a priori, l’air d’être.

Ce qui nous conduit à un troisième commentaire, ou plutôt à une interrogation, sur le fait qu’émergent des hypothèses auxquelles des réponses ont pourtant été données. Dire que la vente de « seulement » 36 Rafale est un échec ne tient pas l’analyse ; pas plus qu’un effondrement de la crédibilité de la France du fait de la suspension de la vente des Mistral. Pourquoi donc émergent de telles hypothèses – si elles n’étaient que cela – parfois posées en vérité, dans les médias ou même chez des académiques ?

Y répondre passe par une première hypothèse, liée à un oubli ou d’une méconnaissance de la littérature autour des questions d’armement et plus largement, de défense. Elle semble effectivement probable et les explications de ce phénomène sont multiples, du désintérêt des universités pour ces questions à, entre autres, une certaine forme d’anti-intellectualisme aux expressions multiples. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour laquelle – attention, publicité – Olivier Schmitt, Stéphane Taillat et moi-même avons codirigé un ouvrage tout juste paru aux PUF.

Mais, au-delà, se pose également la question d’une perméabilité à l’influence des narrations de concurrents stratégiques ou économiques justement permise et entretenue par une méconnaissance de la littérature. Une hypothèse qui demande certainement à être étayée par des études en bonne en due forme et menées ailleurs qu’au café du commerce…

J. Henrotin. Aucune reproduction sans autorisation.

À propos de l'auteur

Joseph Henrotin

Rédacteur en chef du magazine DSI (Défense & Sécurité Internationale).
Chargé de recherches au CAPRI et à l'ISC, chercheur associé à l'IESD.

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