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Pétrole et violence dans le delta du Niger

Depuis février 2016, le groupe armé Vengeurs du delta du Niger multiplie les attaques dans cette région du sud-est du Nigeria. Leur cible : les infrastructures pétrolières qui, selon le mouvement, sont le symbole de l’occupation économique par les grandes compagnies. Premier producteur de brut d’Afrique, le Nigeria voit alors ses revenus diminuer, tandis que le secteur est à l’origine de trafics et de graves dégâts environnementaux.

Déjà acculé par les actes terroristes de Boko Haram dans le nord, le Nigeria connaît une instabilité croissante dans le sud, où se trouve la totalité de ses réserves de pétrole et de gaz naturel. Le contrôle de la zone est donc fondamental pour les autorités, pour les compagnies étrangères, mais aussi pour les groupes armés locaux. Car qui maîtrise l’industrie des hydrocarbures possède un important moyen de pression auprès du pouvoir central. C’est le sens du message que les Vengeurs du delta du Niger (NDA, en anglais) envoient au gouvernement du président Muhammadu Buhari (en fonction depuis mai 2015) en attaquant les oléoducs.

Une lutte politique ?
Le groupe armé appelle au retrait des compagnies étrangères exploitant la richesse du pays alors que la région est pauvre. Toutefois, dans un contexte de luttes anciennes pour le contrôle du pétrole, sur fond de corruption et de pratiques criminelles, les NDA chercheraient à obtenir des contrats avec Abuja. Des spécialistes estiment que les combattants sont issus du Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger (MEND, en anglais), actif dans les années 2000 jusqu’à une guerre ouverte avec l’armée nigériane au printemps 2009, qui a abouti à une amnistie. Celle-ci prévoit notamment la réintégration des membres du MEND – on estime qu’ils ont été jusqu’à 30 000 – dans des services de sécurité privés et le versement de pensions. Certains auraient décidé de reprendre la lutte après la décision des autorités de mettre fin à cet accord en 2018.
Il est difficile de connaître les intentions politiques réelles des NDA, qui assurent lutter pour l’indépendance du Biafra, nom de la région du sud-est du Nigeria où une guerre réaffirma par la force l’autorité de l’État central (1967-1970). Ils réclament ainsi la libération de Nnamdi Kanu, leader historique de l’Indigenous People of Biafra, arrêté en octobre 2015.
Le delta du Niger est une région à part au Nigeria et en Afrique. C’est là que se concentrent les plus grandes réserves prouvées de pétrole du continent (hors Maghreb) avec 37,1 milliards de barils en 2015, selon les statistiques de British Petroleum, et une production de 2,3 millions de barils par jour. Néanmoins, le secteur est sensible aux aléas politiques, et les attaques des NDA ont fait plonger ce chiffre à 1,6 million en juin 2016. Dans un contexte de baisse des prix du brut et alors que ce dernier représente 70 % du budget de l’État, les autorités fédérales sont attentives à tout ce qu’il se passe dans le delta du Niger.
Le pétrole n’a pas apporté richesse et prospérité à cette région, au contraire. En 2015, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime à cinquante-cinq ans l’espérance de vie des 182,2 millions d’habitants du pays, un âge qui tombe à quarante dans le delta. En cause, les effets néfastes de l’exploitation pétrolière, qui détruit la faune et la flore, de la mangrove aux poissons, et provoque des maladies, comme le cancer de la peau ou le saturnisme. La faute à l’industrie « officielle », celle de l’État et des compagnies privées, mais aussi aux nombreuses exploitations clandestines : le pétrole nigérian est d’excellente qualité, ce qui le rend plus aisé à raffiner. Et les revenus issus du brut sont bien plus intéressants pour les populations locales que ceux provenant de la pêche ou de l’agriculture. Sur le plan national, le PIB par habitant (en parité de pouvoir d’achat) n’atteint que 5 991 dollars en 2015, selon la Banque mondiale, guère plus que le Honduras par exemple (5 084), l’un des États les plus pauvres de la planète et qui ne possède pas une goutte de pétrole.

Le facteur pétrolier dans une histoire violente
En juin 2016, le gouvernement a annoncé un programme de restauration du delta du Niger d’un milliard de dollars. Toutefois, n’est-il pas trop tard pour répondre aux impératifs de cette région qui, depuis la découverte du brut à la fin des années 1950, ne cesse de se dégrader ? Pendant la période britannique (1890-1960), elle était considérée comme non viable économiquement et peu d’intérêt a été porté à son développement. Au sens géographique, ce territoire regroupe les États actuels de Delta, Bayelsa et Rivers, sur la côte, mais on inclut généralement Akwa Ibom, puis Edo, Anambra, Imo et Abia, dans l’intérieur. Il pose de nombreux défis logistiques pour le transport des marchandises et des personnes. L’argent issu du pétrole aurait pu permettre l’aménagement d’un réseau fluvial, ce qui ne fut pas le cas. La région est également victime des différends entre les trois grandes communautés y habitant – les Yorubas, les Peuls-Haoussas et les Igbos – pour la répartition des subsides. La multiplication des structures mises en place par l’État central, d’une part, et les États fédérés, d’autre part, ainsi que par les compagnies privées, a alimenté la confusion et la mauvaise gestion sur fond de corruption. Si la violence dans le delta du Niger n’est pas nouvelle, le pétrole est venu s’ajouter à une longue liste de facteurs empêchant le développement de la région, et favorisant sa destruction.

Cartographie de Laura Margueritte

Article paru dans Carto n°37, septembre-octobre 2016.

À propos de l'auteur

Guillaume Fourmont

Guillaume Fourmont est le rédacteur en chef des revues Carto et Moyen-Orient. Il a précédemment travaillé pour les quotidiens espagnols El País et Público. Diplômé de l’Institut français de géopolitique (université de Paris VIII Vincennes Saint-Denis), il est l’auteur de Géopolitique de l’Arabie saoudite : La guerre intérieure (Ellipses, 2005) et Madrid : Régénérations (Autrement, 2009). Il enseigne à l’Institut d’études politiques de Grenoble sur les monarchies du golfe Persique.

À propos de l'auteur

Laura Margueritte

Cartographe pour les magazines Carto et Moyen-Orient.

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