Magazine Moyen-Orient

La Libye : un épisode atypique de la colonisation du Maghreb

La colonisation italienne en Libye a suivi un parcours chronologique particulier, qui la différencie des autres entreprises coloniales au Maghreb. Amorcée avec le débarquement des troupes italiennes à Tripoli le 5 octobre 1911, elle se termina en 1943, lorsque les armées des forces alliées occupèrent le territoire libyen, établissant des administrations militaires provisoires. Il s’agit donc d’une colonisation brève et marquée par la guerre : de révolte en répression, l’ensemble du territoire ne fut déclaré pacifié qu’en 1932 (1).

La phase destructive de l’entreprise coloniale fut longue et douloureuse pour la population, surtout en Cyrénaïque. Sous la conduite du gouverneur Pietro Badoglio (1871-1956) et du général Rodolfo Graziani (1882-1955) fut menée une guerre totale contre les « rebelles », ce qui conduisit une grande partie des nomades du djebel insoumis – environ 100 000 personnes, soit grosso modo la moitié de la population de la Cyrénaïque de l’époque – dans des camps de concentration de la région littorale contrôlée par l’armée coloniale. Une bonne partie des prisonniers, détenus pendant près de trois ans, y trouvèrent la mort (2). Si l’on ajoute les tombés au combat et les quelques dizaines de milliers de personnes qui avaient fui l’occupation italienne en se réfugiant à l’étranger, en particulier en Égypte, on comprend comment la Libye orientale avait perdu au début des années 1930 une grande partie de sa population, surtout parmi les tribus qui vivaient du pastoralisme.
Parmi les raisons qui avaient conduit en 1911 le gouvernement de la Péninsule présidé par le libéral Giovanni Giolitti (1842-1928) à décider de l’occupation du territoire libyen, il faut citer l’espoir de résoudre le grave problème de l’émigration italienne en offrant aux travailleurs nationaux sans emploi un débouché dans une région appartenant à la « mère patrie ». La presse, en particulier la nationaliste, qui poussait à la reprise des entreprises coloniales, avait mis l’accent sur ce point, allant jusqu’à affirmer que le sol libyen possédait des ressources suffisantes pour accueillir des millions de nouveaux habitants. On estimait d’ailleurs que son exploitation allait permettre le développement d’une petite propriété agricole coloniale susceptible d’absorber une partie importante de l’émigration.
Des intentions « civilisatrices »
Les commissions d’enquête envoyées en Libye en 1912 et 1913 révélèrent les limites de cette illusion : l’une d’entre elles exclut la possibilité de réaliser une colonisation de peuplement et se prononça en faveur d’un projet de développement agricole de la colonie qui associait capitaux et savoir-faire italiens à la main-d’œuvre locale (3). Ces considérations, liées aux difficultés d’un contrôle effectif du territoire libyen et aux incertitudes de la politique coloniale des gouvernements libéraux, amenèrent à la définition, vers la fin de la Première Guerre mondiale, d’un projet de gestion indirecte de la colonisation qui laissait une grande place au développement civil et économique de la population autochtone. Le ministre des Colonies, Gaspare Colosimo (1859-1944), avait affirmé au début de l’année 1918 qu’« en Libye, […] il faut trouver un accord pour progresser, en guidant les populations, et non pas en les écartant ; en aidant à la mise en valeur, pour le bénéfice de tous ; […] en poussant graduellement l’élévation des indigènes selon leurs capacités, et non pas en les obligeant à une organisation qui répond à une civilisation avancée ; […] en les associant à l’administration locale ; en en faisant, en somme, des coopérateurs sous la direction italienne. Bref : en répudiant la théorie du refoulement et de l’assimilation, mettre en pratique la politique d’association dans le but de rapprocher les Italiens et les Indigènes : accueillir ceux-ci comme collaborateurs et associés, tout en respectant leur religion, leurs coutumes, en faisant pénétrer le progrès parmi les populations, en se servant surtout de l’hygiène avec l’assistance médicale, de l’école dans le sens large du mot, et en promouvant l’agriculture et le commerce  » (4).
Cette ligne politique porta à la promulgation des Statuti libici (Lois fondamentales) en 1919, qui prévoyaient, entre autres, l’octroi de la citoyenneté italienne aux Libyens et une plus grande autonomie aux gouvernements locaux, avec l’élection de deux parlements, un pour la Tripolitaine, un pour la Cyrénaïque. Dans cette perspective, la présence italienne dans le secteur agricole de la colonie eut un développement restreint : d’après le recensement de décembre 1921, on comptait 93 travailleurs métropolitains dans l’agriculture et le domaine colonial possédait un peu plus de 9 000 hectares de terrains, dont 3 600 en concession à des entrepreneurs italiens.
Avec la prise progressive du pouvoir par le fascisme en Italie (la Marche sur Rome, l’épisode qui préluda à la formation du premier exécutif de Benito Mussolini, date du 28 octobre 1922), on assista à des changements qui affectèrent en profondeur la politique coloniale. Du projet de gouvernement indirect (sans oublier toutefois qu’en Tripolitaine, il n’arriva jamais au stade de la réalisation, faute d’une réelle volonté du côté italien et sous la poussée des revendications nationalistes de la région), on passa à l’affirmation de la nécessité du contrôle total et absolu du territoire et de la « reconquête » militaire des zones insoumises : toute idée de participation de la population locale au gouvernement de la colonie disparut des programmes et les Statuti libici furent de fait abrogées. Une série d’opérations de police et de guerre imposèrent graduellement la soumission du territoire et la pacification définitive fut proclamée le 24 janvier 1932.
La Libye agraire : une terre promise ?
Au cours de la première phase de la reconquête fasciste de la Libye, le domaine colonial s’était enrichi grâce à de ­nouvelles lois qui permettaient de considérer comme domaniales les terres non cultivées, ainsi qu’avec la confiscation de celles appartenant aux « rebelles ». De 1922 à 1926, en Tripolitaine, 31 000 hectares de ces terrains, les meilleurs, furent donnés à des concessionnaires italiens pour y développer une colonisation privée de type capitaliste.
La période qui va de 1926 au début des années 1930 représente un moment important pour la redéfinition de la politique agraire. La colonisation privée connut en 1926 une forte crise lorsque des conditions climatiques difficiles en montrèrent les limites, cumulant les déficits de gestion avec l’abandon de plusieurs concessions. Elle n’avait provoqué qu’un afflux modeste de main-d’œuvre italienne, ce qui était normal puisque la locale était moins chère. À partir de cette constatation, et dans le but de relancer la politique d’immigration de la Péninsule, le gouvernement précisa un nouvel objectif à atteindre : la colonisation devait être démographique.
Un débat s’engagea alors parmi les experts et les hommes politiques sur la dimension effective de l’immigration que les conditions du territoire colonial pouvaient permettre : si les premiers restaient prudents, se bornant à parler de quelques dizaines de milliers d’agriculteurs italiens absorbés par la colonie après une longue période, les seconds se lançaient dans des évaluations mirobolantes, d’après lesquelles des centaines de milliers de travailleurs de la mère patrie auraient trouvé un emploi en Libye en l’espace de quelques décennies (5). Les crédits concédés par l’État permirent en effet d’élargir la présence des agriculteurs italiens, bien que de façon globalement assez réduite : en 1933, sur les 100 000 hectares des concessions agricoles privées, on pouvait compter 1 530 familles de colons métropolitains, soit 7 500 personnes environ. Les conditions politiques et économiques, nationales et internationales, du début des années 1930 poussèrent de plus en plus Rome à renforcer son engagement pour l’ouverture de la Libye à la main-d’œuvre italienne inactive.
Le schéma d’intervention qui fut adopté dès les premières phases de ce que l’on appellera la « colonisation démographique intensive » fut celui des comprensori agricoli. Sur des terrains du domaine mis à la disposition par le gouvernement colonial, on réalisait toutes les installations nécessaires au développement des cultures et à la vie des familles : routes et pistes, maisons, puits et infrastructures hydrauliques, centres collectifs de services et de transformation des produits. Les familles choisies en Italie parmi celles qui en avaient fait la demande selon des critères définis par les organismes gouvernementaux s’engageaient à résider et à travailler sur la concession de façon exclusive ; elles devaient recevoir régulièrement des sommes d’argent pour toute période improductive ou insuffisamment productive de leurs champs puis restituer cet argent et racheter, par les produits de leur travail la ferme, les outils et la terre qu’elles recevaient dans un laps de temps convenable, évalué en général entre vingt et trente ans. On établissait pour chaque concessionnaire un contrat (disciplinare di concessione), avec différentes clauses qui pouvaient varier d’un cas à l’autre selon la position, la dimension et la fertilité des terrains.
Une première expérience fut réalisée à Tigrinna, par l’Azienda tabacchi italiani (Entreprise des tabacs italiens) qui, dès la fin des années 1920, avait expérimenté la culture du tabac sur les hauteurs du Gharyan. Des familles originaires des Abruzzes et de la province de Ferrare commencèrent à arriver en 1931 sur un comprensorio d’environ 1 000 hectares, dont le peuplement atteignit le maximum de 299 familles en 1936, avec 1 794 personnes. 
C’est à une plus grande échelle, et cette fois-ci en Libye orientale, que devait agir l’Ente per la colonizzazione della Cirenaica (Office pour la colonisation de la Cyrénaïque), créé en 1932 comme entreprise mixte financée par des capitaux publics et privés, qui avait reçu en concession de vastes terres du djebel Al-Akhdar afin d’y réaliser une colonisation destinée aux agriculteurs italiens. La région de la Montagne verte, le haut plateau qui occupait une partie de la portion méditerranéenne de la Cyrénaïque, était du point de vue agricole le territoire le plus intéressant du pays par ses conditions climatiques. Habité depuis toujours par une population clairsemée de nomades qui y pratiquaient l’élevage sous ses formes traditionnelles de transhumance, il était en 1932 pratiquement désert.
Jusqu’au début des années 1930, la présence italienne dans l’agriculture de la Cyrénaïque avait été encore moindre qu’en Tripolitaine : en 1931, on y comptait 429 travailleurs originaires de la Péninsule, dont 44 salariés, sur 14 000 hectares de concessions. En 1933, l’Ente accomplit une première phase de son programme colonial avec la construction de 150 fermes. Dans des territoires qui étaient presque totalement dépourvus de toute forme d’urbanisation, le schéma d’établissement rural de la colonisation s’enrichit d’un noyau urbain, le village, où se concentraient tous les services destinés à la vie des personnes appelées à s’établir dans chaque comprensorio. Ils pouvaient varier selon la dimension de la communauté immigrée elle-même, mais en général, on trouvait dans chaque village les mêmes éléments : les bureaux de la municipalité et des organismes, la poste, la Casa del Fascio, c’est-à-dire le bureau du parti fasciste et ses annexes, la police, l’église, l’école, l’infirmerie, des magasins et le marché couvert, une auberge et les résidences des fonctionnaires. Au cours des premières années de son activité, l’Ente réalisa quatre villages dans la zone la plus fertile de la Cyrénaïque : Beda Littoria, Primavera (ensuite appelé Luigi Razza, nom du premier président de l’Ente), Luigi di Savoia et Giovanni Berta. L’Ente fut autorisé en 1935 à étendre son champ d’action à l’ensemble du territoire colonial, devenant ainsi l’Ente per la colonizzazione della Libia. Le recensement général de l’agriculture effectué en 1937 montre une progression de la présence agricole : on dénombre alors une population rurale de 2 711 familles, soit 12 288 personnes, dont plus de 80 % travaillent directement la terre.
Esquisse et antinomies d’un projet social
On peut avancer que, au moins jusqu’à 1934, date de l’arrivée à Tripoli d’Italo Balbo (1896-1940), venu assumer le gouvernement de la Libye, aucun projet social concernant l’ensemble de la colonie n’avait vu le jour. Les interventions de Rome se limitaient à favoriser une présence italienne sur tout le territoire et, au maximum, à envisager l’éclosion d’une classe de petits propriétaires agricoles métropolitains à partir d’une masse de chômeurs arrivés de la mère patrie. La population autochtone, et notamment sa partie la plus consistante, celle qui vivait de l’économie pastorale et nomade, brimée et frappée par la répression, n’avait dans le dessein impérialiste d’autre place que celle d’une main-d’œuvre très bon marché, employée dans les fermes italiennes ou sur les chantiers de construction (6), ou comme chair à canon à utiliser dans d’autres aventures coloniales, ainsi que le montrera bientôt la conquête de l’Éthiopie (1935-1941).
Ce n’est qu’en 1938 qu’un programme de colonisation globale fut présenté par le gouvernement colonial : dans ce Piano di colonizzazione demografica intensiva della Libia, la ligne politique de l’intervention ne se bornait plus aux seules considérations concernant les bénéfices qu’en tirerait la population italienne, comme la résorption partielle du chômage, mais prenait en compte l’ensemble de la société coloniale, dessinant un cadre général de développement et de relations réciproques entre les communautés. Le programme de 1938 se proposait avant tout de créer « une situation d’équilibre relatif entre la population métropolitaine et la population arabe », en considérant le rapport démographique déficitaire des Italiens par rapport aux Libyens (de un contre dix environ en 1937) et les risques d’affirmation d’un mouvement nationaliste engendré par l’amélioration récente du « niveau civil des populations arabes » (7).
Afin de renforcer la présence italienne, le programme prévoyait l’accueil de 30 000 nouveaux colons en deux ans, dont 20 000 devaient arriver en Libye fin 1938. Ils auraient été accueillis dans les villages et les comprensori de colonisation avec un financement de l’État atteignant 945 millions de lires (environ 600 000 euros). Un tiers environ de cette somme (321 millions, soit 204 000 euros) était destiné aux grands travaux d’aménagement général réalisés directement par le gouvernement, avant tout hydrauliques, qui comprenaient deux aqueducs, 35 puits artésiens et les infrastructures annexes, puis les routes (250 kilomètres) et les lignes de communication ainsi que les premiers noyaux de 20 nouveaux villages agricoles. Un chiffre un peu plus important (380 millions, soit 242 000 euros) était destiné à la réalisation des fermes et à la première implantation des sols agricoles, en particulier à la transformation des steppes en champs labourables. La somme restante couvrait l’organisation technique de l’opération.
Afin de réaliser ce projet, le domaine de la colonie devait acquérir 250 000 nouveaux hectares de terrain, en grande partie dans les régions internes, mais aussi dans quelques zones côtières, telles la plaine de Barce et les territoires entre Zliten et Misratah, et à l’est de Tripoli. Le schéma d’ensemble du programme de colonisation prévoyait à longue échéance la réalisation d’une structure territoriale, sociale et économique, où les zones agricoles habitées par la population métropolitaine en côtoieraient d’autres destinées au peuple arabe, les rapports entre elles répondant avant tout aux exigences des métropolitains. Dans le cadre de l’« organisation totalitaire de la Libye » poursuivie par Italo Balbo, les mesures économiques et l’aménagement du territoire destiné aux activités des autochtones devaient être accompagnés de réformes politiques, telles que l’encadrement de l’économie sous une forme corporatiste et le regroupement des personnes au sein des organisations de masse du parti fasciste (8). Ce seront là, selon le gouverneur, « les armes les plus puissantes dans les mains du Gouvernement par rapport aux Libyens qui, pour beaucoup de raisons, échappent à une action de contrôle direct et immédiat » (9).
Pour Italo Balbo, l’ensemble des mesures prises au cours des premières années de son gouvernorat avait entre autres objectifs celui de réaliser une société nouvelle. On aurait créé « un nouveau type de citoyen italien de Libye, qui s’éloigne nettement du type de la tradition colonialiste et s’encadre parfaitement dans notre vie sociale. La vision de la […] tribu errant dans le désert aux ordres d’un chef […] ne sera plus qu’un lointain souvenir dans les nouvelles provinces libyennes, où brûle l’esprit innovateur et créateur du régime fasciste […]. Nous n’aurons plus en Libye des dominants et des dominés, mais des Italiens catholiques et des Italiens musulmans, les uns et les autres unis dans le destin enviable d’être les éléments constructeurs d’un organisme grand et puissant, l’empire fasciste » (10). Il y a lieu de relever ici les limites rhétoriques de cette vision idyllique où se mêlent propagande fasciste et autosatisfaction du gouverneur général : usons pour ce faire de la confrontation avec un passage, beaucoup plus réaliste, du programme de colonisation, là où le même Italo Balbo affirme, dans le plan de 1938, qu’il est « absolument nécessaire que dans un délai très bref en Libye, on oppose à la masse des autochtones un bloc considérable constitué par des nationaux, qui ne manqueront pas, avec les mille tentacules de leurs intérêts, de contrôler – dans tous les sens du mot – les quatre provinces » (11).
Les derniers feux d’une vision coloniale
Avec l’entrée en guerre de l’Italie, toute nouvelle réalisation dans le domaine de la colonisation agraire fut arrêtée. La Libye orientale devint bientôt un théâtre de guerre et, à la fin de 1942, tous les colons en furent évacués : avec l’occupation britannique, les anciens habitants reprirent possession des terrains du djebel Al-Akhdar et les traces de la présence étrangère s’estompèrent peu à peu. En Tripolitaine, par contre, les agriculteurs de la colonisation démographique, bien que réduits en nombre, continuèrent leur activité bien au-delà de l’occupation alliée et de la proclamation de l’indépendance de la Libye. Ceux qui restèrent, devenus propriétaires de leurs terres, furent définitivement chassés du pays après le coup d’État des officiers libres de 1969, dirigé par Mouammar Kadhafi.
Quelle conclusion tirer de ce rapide examen ? L’inégalité du projet social de la colonisation démographique était évidente en soi et se reflétait dans sa projection spatiale et territoriale. La population musulmane devait être maintenue dans une position subalterne, économiquement et politiquement soumise et subordonnée. Bien évidemment, les mesures prises en sa faveur dans la période suivant 1934 auraient graduellement amélioré la situation économique et civile de cette population, mais l’objectif du dessein social primitif restait de garantir son contrôle et d’assurer la stabilité du pays sous la domination italienne.
Si le gouverneur Italo Balbo pouvait bien envisager, à long terme, la disparition des catégories dominants/dominés en Libye, dans la réalité, les instruments permettant de perpétuer cette situation s’inscrivaient dans les programmes d’aménagement du territoire et sur le territoire lui-même, par une répartition des ressources très inégalitaire que l’on essayait de cacher derrière de grands discours, mais qui était évidente au vu des résultats de la période 1938-1940. Les meilleures terres étaient pour les immigrés italiens, ce qui restait aux populations locales ; les activités pastorales, réservées aux autochtones, étaient reléguées dans les territoires arides les plus difficiles.
Italo Balbo pouvait, dans ses discours, rêver d’une époque où un courant d’intérêts réciproques et de compréhension mutuelle aurait lié familles italiennes et libyennes, mais ce lien n’aurait pu se tisser que difficilement par dessus les barrières qu’il élevait lui-même lorsqu’il disposait, dans un rapport en date du 30 janvier 1940, qu’il faut « de plus en plus éloigner des centres de colonisation [métropolitains] l’élément musulman, puisque les comprensori de colonisation doivent devenir au plus tôt ce qu’ils sont presque déjà, de véritables îles ethniques de nationaux ».

Notes

(1) Cet article est issu d’une étude plus approfondie sur le problème foncier de la colonisation italienne en Libye : Federico Cresti, « Projet social et aménagement du territoire dans la colonisation démographique de la Libye (1938-1943) », in Correspondances no 58, Institut de recherches sur le Maghreb contemporain de Tunis, p. 11-19, 1999.
(2) L’estimation la plus couramment acceptée est d’environ 40 000 morts dans les camps.
(3) Il s’agit de la commission Bertolini, du nom du ministre des Colonies, qui eut toutefois la possibilité d’examiner uniquement le territoire aux alentours de Tripoli.
(4) Relazione sulla situazione politica, economica ed amministrativa delle colonie italiane presentata dal Ministro delle Colonie (Colosimo) nella tornata del 23 febbraio 1918, Camera dei Deputati, 1918, p. 207.
(5) Par exemple, en 1928, un expert jugeait que 60 000 Italiens auraient pu trouver une perspective économique viable en Libye dans un délai de quarante-cinq ans. L’année précédente, le ministère des Colonies avait estimé que 300 000 Italiens auraient « vécu, travaillé et prospéré » en Libye en l’espace d’un quart de siècle.
(6) On calcule qu’au printemps 1934, entre 20 et 25 % de la population expulsée du djebel était employée sur les chantiers des travaux d’aménagement colonial.
(7) Il est fait allusion à une série de mesures prises avec l’avènement d’Italo Balbo en faveur de la population arabe, comme l’ouverture de nouvelles écoles et l’accès à l’éducation supérieure, auparavant nié aux musulmans de Libye.
(8) À la fin de l’année 1935, par exemple, on avait constitué en Libye la Gioventù Araba del Littorio (Jeunesse arabe du Licteur), qui correspondait aux organisations de caractère paramilitaire de la jeunesse fasciste italienne.
(9) Italo Balbo, « La politica sociale fascista verso gli arabi della Libia », in Atti del Convegno Volta, vol. 1, 1939.
(10) Ibidem.
(11) Dans le cadre de la réforme administrative qui, en 1934, avait unifié la Tripolitaine et la Cyrénaïque, auparavant autonomes, en une seule entité, on avait institué quatre provinces : Tripoli, Misratah, Benghazi et Darnah. Les territoires sahariens étaient administrés par l’armée.

Légende de la photo en première page : Vue aérienne du village Primavera, construit par les Italiens dans une zone fertile de Cyrénaïque, ici en 1938. © Institut italien pour l’Afrique et l’Orient

Article paru dans la revue Moyen-Orient n°47, « Bilan géostratégique 2020 : Des révolutions, et après ? », juillet-septembre 2020.
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