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Les États-Unis dans l’espace aujourd’hui : où les Américains placent-ils la nouvelle frontière ?

« Pour les États-Unis, les programmes spatiaux ne sont pas un luxe, mais bien une nécessité », a rappelé le président Obama en avril 2010, lorsqu’il a dévoilé le nouveau cap de la conquête spatiale américaine, faisant de Mars l’objectif de ce siècle. (© Pete Souza/White House)
Quarante-sept ans après le débarquement américain sur la Lune, le 20 juillet 1969, les États-Unis restent-ils la première puissance spatiale dans le monde ? La réponse à cette question est sans ambiguïté : oui, et même trois fois oui, car la domination américaine est écrasante dans les trois grands secteurs spatiaux – le civil étatique, le militaire et le commercial.

Globalement, l’effort spatial des États-Unis est sans commune mesure avec ceux de tous les autres pays, que ce soit sur le plan quantitatif, ou sur le plan qualitatif. Cela ne signifie pas pour autant que des erreurs n’ont pas été commises, et que quelques faiblesses, au moins temporaires, ne soient pas manifestes.

Un leadership incontestable

Comment s’explique cette prépondérance sans partage ? Trois raisons sont à l’origine de cette situation. La première est presque philosophique : les États-Unis sont le pays de la « frontière », dont les citoyens, après avoir étendu le territoire américain depuis l’Atlantique jusqu’au Pacifique, sont toujours à la recherche de « nouvelles frontières », et de ce point de vue, l’espace est la « frontière d’en haut ». Occuper le cosmos – non seulement pour l’étudier scientifiquement, mais pour l’exploiter économiquement, le « coloniser » – est une aspiration naturelle des Américains, qui est sans équivalent ailleurs dans le monde. Cette volonté d’expansion s’est révélée dans la compétition avec l’Union soviétique, et elle a poussé la NASA à envoyer des robots vers toutes les planètes du système solaire, et à commanditer le plus grand programme de vols spatiaux habités du globe.

La deuxième raison est à la fois scientifique, technique et culturelle : le système économique américain, en particulier en Californie, avec une mention spéciale pour la Silicon Valley, favorise l’entreprenariat et l’innovation, tout d’abord dans les industries de l’information, mais ensuite, par diffusion progressive des méthodes et des technologies, dans d’autres secteurs industriels, comme l’aérospatial. C’est ainsi qu’est né, au cours des deux dernières décennies, le mouvement appelé NewSpace, qui comprend des centaines de start-ups, venues compléter et concurrencer l’offre des sociétés traditionnelles, en offrant des systèmes et des services moins chers, et ce plus rapidement et efficacement.

La troisième raison est plus pragmatique : les forces militaires des États-Unis, sur la terre, sur les mers et dans les airs, qui sont de très loin les plus puissantes du monde, ainsi que les agences de renseignement américaines, se sont dotées, au cours des six dernières décennies, d’outils spatiaux très performants et très coûteux, dont elles ne peuvent absolument plus se passer. Le résultat est que les États-Unis dépensent à eux seuls quatre à dix fois plus que tout le reste du monde en matière d’espace militaire (1).

Volonté d’expansion vers la frontière d’en haut, mise en œuvre de technologies transformatrices par des entrepreneurs et utilisation des satellites comme outils globaux de collecte de renseignement et de support aux opérations militaires : telles sont les fondations de l’édifice spatial américain, qui a toujours été au premier rang mondial, et dominateur, mais qui est en train, en dépit du point de vue plutôt négatif de certains observateurs, d’accélérer son développement et d’accroître son avance, avec en perspective des réalisations spectaculaires, comme la conquête de Mars dans les deux prochaines décennies.

La NASA, une agence qui manque d’ambition ?

Il convient de souligner une grande différence entre le système spatial américain et celui des autres puissances spatiales : l’agence spatiale fédérale, la National Aeronautics and Space Administration (NASA), célèbre pour avoir conquis la Lune en moins d’une décennie, puis développé le véhicule spatial le plus complexe de l’astronautique, la fameuse navette spatiale, avant de diriger la construction et la mise en œuvre de la station spatiale internationale (ISS), n’est que l’une des organisations publiques s’occupant de l’espace aux États-Unis. Contrairement à l’Agence spatiale européenne (ESA), ou à l’Agence spatiale française (le CNES, Centre national d’études spatiales), qui s’occupent à la fois du transport spatial, des vols habités, de la science et des applications pratiques des satellites, la NASA se consacre presque exclusivement aux vols habités et aux missions scientifiques. Le transport spatial commercial est aux USA du ressort de l’industrie et il en est de même des télécommunications civiles et de l’observation commerciale de la Terre. Les satellites météorologiques civils sont développés et mis en œuvre par la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA). Et les systèmes spatiaux militaires, en majorité secrets, sont de la responsabilité d’agences spécialisées, comme le National Reconnaissance Office (NRO), et, pour l’essentiel, des forces aériennes. Bref, c’est une erreur de faire de la NASA le support principal de l’espace aux États-Unis. Elle n’est, en fait, que la partie émergée d’un immense iceberg, dont le volume total, considérable, explique vraiment la puissance spatiale américaine.

Cela étant, les impressions négatives sur l’espace américain, s’exprimant le plus souvent aux États-Unis eux-mêmes, sont dues à une forte déception quant aux réalisations de la NASA après le triomphe du programme Apollo. À l’époque, en 1969, un ambitieux plan post-Apollo prévoyait une rafale de réalisations plus spectaculaires les unes que les autres, avec une navette spatiale entièrement réutilisable, des stations autour de la Terre puis de la Lune, une base lunaire, et la conquête de Mars – le tout avant la fin du XXe siècle. Ce plan, largement conçu par Wernher von Braun (2), aurait nécessité des moyens encore supérieurs à ceux attribués par le gouvernement fédéral au pic de dépenses du projet Apollo, en 1965, lorsque les États-Unis consacrèrent brièvement 4 % de leur budget fédéral à la conquête de la Lune. Malgré l’aspiration à conquérir la frontière d’en haut, toujours présente, ce scénario était complètement irréaliste, et le budget de la NASA est peu à peu retombé à un peu moins de 0,5 %, ce qui reste assez élevé en valeur absolue : 19 milliards de dollars pour 2017 d’après les chiffres du Bureau de la gestion et du budget (OMB) américain.

Le seul projet qui survécut dans le plan post-Apollo est celui de la navette spatiale, dont la réalisation, décidée en 1973, exigea non seulement l’arrêt du programme Apollo, mais aussi un renoncement au principe même du projet, à savoir la mise au point d’un véhicule spatial pleinement réutilisable et capable de faire des allers-retours entre la Terre et le proche cosmos, un peu comme un avion va d’un aéroport à l’autre. La navette que put s’offrir la NASA utilisait malheureusement un réservoir extérieur et des boosters à poudre qui n’étaient pas réutilisables. Elle vola avec succès en 1981, mais se révéla complexe et chère à mettre en œuvre. Merveille technique, elle s’avéra dangereuse, avec un premier accident en 1986, puis un second en 2003, entraînant chacun la mort de sept astronautes. En définitive, la navette fut retirée du service en 2011, après l’achèvement de ce qui était devenu son principal objectif : l’assemblage de l’ISS, qui est d’abord un programme à finalité politique, dirigé par les États-Unis et la NASA, avec comme partenaires le Canada, l’Europe, le Japon et la Russie, qui a rejoint le projet en 1993, après la chute de l’Union soviétique.

Pour les passionnés d’espace aux États-Unis, et ailleurs dans le monde, la navette et l’ISS ont été et restent des programmes décevants, car limités à la banlieue proche de la Terre, alors que, en principe, le but de l’astronautique, de la « navigation entre les astres », est d’explorer les mondes lointains, en commençant par la Lune, comme cela a été fait avec Apollo, et en poursuivant vers l’objectif emblématique suivant, Mars. Von Braun l’avait rêvé. La NASA ne l’a pas fait. 

S’est-elle vraiment fourvoyée en chemin ? Malheureusement, c’est incontestable. Autant Apollo avait été brillant, autant la navette a été un désastre, et l’ISS une réalisation dont la finalité, en dehors des aspects politiques, est douteuse : en tant que laboratoire en microgravité, elle n’a pas encore donné de résultats probants, et risque de ne jamais en donner, avant sa fin programmée autour de 2025. Un vrai gâchis : si les budgets consacrés à la navette et à l’ISS, supérieurs au total à ceux d’Apollo, avaient été affectés à l’exploration humaine de la Lune puis à celle de Mars, il fait peu de doute qu’il y aurait aujourd’hui une base permanente sur la Lune et que des astronautes auraient déjà foulé le sol de la planète rouge.

La NASA ne s’est-elle pas rendue compte qu’elle faisait fausse route ? À deux reprises, avec le soutien de la Maison-Blanche, elle a tenté de reprendre la route de la Lune et de Mars, tout en poursuivant les vols de navettes et la construction de l’ISS. En 1991, le président George Bush père a soutenu une initiative d’exploration spatiale (SEI, Space Exploration Initiative), avec comme objectif un débarquement sur Mars pour 2019, pour le cinquantenaire de la mission Apollo 11. Mais le coût pharaonique annoncé par la NASA, de l’ordre de mille milliards de dollars, découragea le Congrès. Treize ans plus tard, en 2004, le président George W. Bush reprit le flambeau de son père, et confia à la NASA un programme de retour sur la Lune, appelé Constellation, sorte d’Apollo à plus grande échelle, visant à l’installation d’une base permanente sur la Lune. 

Mars comme objectif : est-ce réalisable ?

Le programme Constellation avança cahin-caha jusqu’en 2010, lorsque le président Obama tenta de l’arrêter, pour le remplacer par un projet plus innovant de mission humaine sur Mars, devant aboutir dans les années 2030. Mais le Congrès obligea le président Obama à poursuivre une partie du programme Constellation, en l’occurrence une fusée géante appelée SLS (Space Launch System) et un vaisseau habité pour les vols spatiaux lointains, baptisé Orion. Ce qui prend forme, et devient de plus en plus crédible, est en fait un compromis entre le plan de George W. Bush et celui annoncé le 15 avril 2010 par Barack Obama : la NASA prépare l’envoi d’astronautes sur Mars avec les véhicules prévus pour Constellation, le SLS et Orion, dans le cadre d’un programme intitulé Journey to Mars (Voyage vers Mars).

Pourquoi Journey to Mars connaîtrait-il un meilleur sort que le plan post-Apollo, la SEI ou le programme Constellation  ? Le contexte est beaucoup plus favorable pour plusieurs raisons. En premier lieu, la navette est au musée et l’ISS est assemblée, avec une fin de vie en vue pour dans une dizaine d’années. Les séquelles héritées des mauvaises décisions du passé sont en voie de disparition. D’ores et déjà, sur les quelque huit milliards de dollars que la NASA consacre aux vols habités, la moitié va aux programmes SLS et Orion, et donc, indirectement, à Journey to Mars. Quant à la moitié encore consacrée aux opérations de l’ISS, elle est mieux maîtrisée grâce au recours, décidé en 2005, à des prestataires de transport privés, qui remplacent la navette, abandonnée, pour la desserte cargo de la station. L’un de ces deux prestataires, SpaceX, société entrepreneuriale créée par l’innovateur Elon Musk, a construit dans ce cadre une fusée extrêmement compétitive, le Falcon 9, et un vaisseau ressemblant à un petit Apollo, le Dragon. L’autre est Orbital ATK, qui a construit le vaisseau Cygnus, lancé par une fusée construite pour une grande part en Ukraine, Antares.

Le développement des systèmes privés de desserte cargo, Falcon 9/Dragon et Antares/Cygnus, a été effectué de manière rapide et très économique, grâce à un type de partenariat public-privé très innovant. Mais il ne résout pas un autre problème, créé par l’arrêt des vols de navette : le transport d’astronautes. Depuis 2011, les États-Unis, la plus grande puissance spatiale, se trouvent dans la situation un peu ridicule de devoir compter sur l’un de ses partenaires du programme ISS, la Russie, pour envoyer vers la station, dont ils sont clairement l’actionnaire majoritaire, leurs propres astronautes et ceux de leurs partenaires (Canada, Europe et Japon) dont ils se sont engagés à assurer le transport. 

Pour la Russie, c’est une excellente affaire, car chaque place dans un Soyouz est vendue à la NASA pour plus de 60 millions de dollars. Mais pour les États-Unis, c’est une situation difficilement acceptable, surtout à l’heure des sanctions contre la Russie en raison de l’annexion de la Crimée ukrainienne. Le problème devrait cependant être résolu dès 2018, avec un nouveau recours à des partenaires privés, qui fourniront en quelque sorte des taxis spatiaux à la NASA : le Dragon 2 de SpaceX, et le SpaceLiner CST-100 de Boeing, en cours de développement dans le cadre du programme Commercial Crew.

On peut s’interroger sur les actions américaines qui ont conduit à une dépendance étonnante vis-à-vis de la Russie pour certains programmes. Pour les comprendre, il faut faire un saut en arrière d’environ 25 ans, juste après la chute de l’empire soviétique, lorsque Boris Eltsine apparaissait comme un ami des Occidentaux, qu’il fallait aider en donnant du travail à ses ingénieurs dans les domaines du nucléaire, des fusées et de l’espace. C’est alors que la Russie fut invitée à rejoindre l’ISS, en renonçant à sa propre station Mir. Il devait alors y avoir deux systèmes de transport d’astronautes vers l’ISS, la navette de la NASA et le Soyouz russe, l’un moderne et performant, l’autre ancien (le premier Soyouz a volé en 1967) et de faible capacité. Mais, en fait, c’est la navette qui eut un grave accident et dut être retirée du service en 2011, laissant le Soyouz seul en piste, et la NASA dans l’embarras.

Du temps d’Eltsine, une autre décision, encore plus étonnante, et embarrassante aujourd’hui, fut prise : celle d’importer des moteurs fusée russes RD-180, très performants, pour équiper l’un des deux lanceurs chargés de mettre en orbite les satellites militaires américains, l’Atlas V. À l’heure où s’accroît l’antagonisme entre les États-Unis de Barack Obama et la Russie de Vladimir Poutine, cette situation paraît inacceptable au Congrès, qui s’étonne que les satellites ultrasecrets, sur lesquels repose la sécurité des États-Unis, dépendent, pour leurs lancements, de propulseurs russes. La situation devrait être résolue d’ici 2020, avec l’introduction de nouveaux moteurs fusées américains, pouvant remplacer les RD-180.

Avec la maîtrise retrouvée de sa capacité à transporter des astronautes vers l’ISS, en utilisant des vaisseaux privés, beaucoup moins coûteux que les Soyouz, la NASA considère qu’elle va pouvoir se concentrer sur son objectif désormais bien affiché, et accepté à la fois par la Maison-Blanche et le Congrès : Mars. Son plan Journey to Mars est-il crédible ? Son budget est-il acceptable ? Dans les deux cas, la réponse est oui, pour la même raison : la technologie disponible aujourd’hui est beaucoup plus performante et économique que celle qui existait il y a dix ans (pour Constellation) ou vingt-cinq ans (pour la SEI). La NASA estime qu’elle peut conduire son programme Journey to Mars dans le cadre de son budget actuel, simplement corrigé de l’inflation. En outre, l’arrêt de l’exploitation de l’ISS vers 2025 libérera des moyens importants. L’objectif actuel est l’envoi d’astronautes autour de Mars, sur le satellite martien Phobos, en 2033, puis l’atterrissage d’un premier équipage avant 2040. Mais le programme pourrait être accéléré.

Et la Lune ? Officiellement, la NASA n’est pas intéressée par un retour sur la Lune, où elle a déjà envoyé des astronautes il y a près de 50 ans. Mais elle souhaite installer, vers 2025, une petite station orbitale autour de la Lune, pour effectuer des missions de longue durée dans un environnement radiatif proche de celui que connaîtront les équipages en route vers Mars. Cela étant, lorsque l’on est autour de la Lune, descendre sur le sol sélène ne serait pas si compliqué. Et, pour des raisons politiques, il serait bien surprenant que la Maison-Blanche et le Congrès ne demandent pas à la NASA d’ajouter une étape à son voyage martien, en l’occurrence des atterrissages sur la Lune : les Chinois ont en effet un programme lunaire habité, prévoyant une arrivée sur la Lune vers 2036, après une série de missions robotiques lunaires ambitieuses. Or, à Washington D.C., la compétition avec la Chine est une véritable obsession…

Le secteur privé américain à la conquête de Mars !

L’intérêt pour la conquête de Mars n’est pas simplement le fait de la NASA et du gouvernement fédéral américain. Des visionnaires, comme l’ingénieur Robert Zubrin, qui a créé l’influente Mars Society dans les années 1990, et surtout, aujourd’hui, des entrepreneurs passionnés d’espace, comme le fondateur de SpaceX, Elon Musk, ou celui d’Amazon, Jeff Bezos, qui veulent non seulement promouvoir les idées sur l’expansion humaine dans le système solaire, mais disposent aussi des moyens matériels de contribuer à cette expansion. 

Elon Musk et Jeff Bezos sont actuellement les acteurs les plus emblématiques du NewSpace. Le premier, avec SpaceX, a déjà changé les règles pour le transport spatial, en abaissant considérablement les coûts, et en obligeant des intervenants majeurs de ce secteur, comme la société européenne Arianespace, à adopter une nouvelle stratégie, reposant sur le développement d’un nouveau lanceur moins cher, Ariane 6, financé par des États membres de l’ESA et réalisé sous la maîtrise d’œuvre d’une nouvelle entité industrielle, Airbus Safran Launchers. Sur le plan technique, SpaceX a réussi à mettre au point une technique innovante de retour sur terre ou sur mer du premier étage de son Falcon 9, ouvrant la voie à des réutilisations multiples de cet étage, et donc à de nouvelles baisses de prix.

SpaceX a déjà transformé le transport spatial et déstabilisé les acteurs en place, mais la raison pour laquelle son fondateur, Elon Musk, poursuit une politique agressive de réduction des coûts et des prix, est beaucoup plus ambitieuse : il s’agit de créer les moyens de coloniser Mars, en envoyant sur la planète rouge des milliers d’êtres humains, qui s’installeraient à demeure sur cet astre, et ce dès la prochaine décennie. Un tel plan est-il réaliste ? Un acteur privé comme SpaceX peut-il vraiment construire un vaisseau capable de transporter sur Mars, d’ici une dizaine d’années, des centaines de colons, et de les installer dans des habitats leur permettant de survivre dans les conditions très difficiles qui règnent à la surface de la planète rouge ? En outre comment les plans martiens de Musk sont-ils conciliables avec les projets, beaucoup plus traditionnels et modestes de la NASA ? Le plus probable est que, même si SpaceX parvient à financer et à construire un lanceur très lourd et des habitats à installer sur Mars avant l’arrivée des premiers « martiens », ces réalisations demanderont beaucoup plus de temps que prévu, et qu’entretemps, SpaceX fournira des services à la NASA pour abaisser les coûts du programme Journey to Mars et en accélérer le déroulement. 

Les Américains à la conquête du cosmos ?

L’homme autour de Mars avant 2030 ? L’homme sur Mars au tout début des années 2030 ? Cela paraît aujourd’hui tout à fait possible, sous le leadership de la NASA, mais avec des coopérations internationales, et aussi des partenariats avec des entreprises privées comme SpaceX, ou d’autres compagnies du NewSpace. Cette étape emblématique franchie, la planète rouge pourrait effectivement devenir une Terre 2.0, et faire de l’humanité une espèce multiplanétaire, comme le rêve Elon Musk, dès la seconde moitié du XXIe siècle.

Les buts poursuivis par Jeff Bezos, avec sa société Blue Origin, sont un peu différents : installer, progressivement, des millions d’êtres humains dans l’espace, pour y poursuivre des activités économiques au service de la Terre. Mais fondamentalement, la philosophie sous-jacente est la même : étendre le domaine d’action (et de domination !) des États-Unis à l’espace proche de la Terre, puis à la région cislunaire (3), puis à Mars et au-delà, et ce dans tous les champs d’activités – scientifique, technique, économique, militaire – et en associant de manière innovante le public et le privé. On l’oublie trop souvent : la véritable source de la puissance américaine est le partenariat public-privé. C’est le cas sur le territoire des États-Unis. Et c’est de plus en plus le cas dans le cosmos.

Notes
(1) L’auteur évalue à environ 40 milliards de dollars les dépenses spatiales américaines en 2015 (budget spatial officiel du Pentagone : 23,5 milliards de dollars, auquel il faut ajouter le budget du National Reconnaissance Office – secret –, estimé à 15 milliards de dollars). En raison du secret qui entoure ce type de données dans certains pays, les dépenses spatiales militaires pour le reste du monde sont difficiles à estimer, les chiffres variant de 4 à 10 milliards de dollars selon les spécialistes.
(2) Cet ingénieur allemand, naturalisé américain en 1955, a joué un rôle majeur dans le développement des fusées. Récupéré par les Américains après la défaite allemande, il devint l’un des principaux responsables de la NASA (NdlR).
(3) Région sphérique autour de la Terre jusqu’à la limite de l’orbite de la Lune.

Article paru dans Les Grands Dossiers de Diplomatie n° 34, août-septembre 2016.
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