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L’occupation dans l’imaginaire scolaire israélien : entre reconnaissance et déni

Au nom du récit sioniste officiel

À première vue, l’occupation est reconnue dans le système éducatif israélien : la guerre des Six Jours fait l’objet d’une analyse détaillée, et le débat sur l’avenir des Territoires occupés n’est pas absent. Ce dernier apparaît dans tous les domaines pertinents de la connaissance, et comprend une description des diverses positions politiques, une référence à des questions sémantiques, telles que « occupation » ou « libération », et à des organismes actifs dans l’arène extra-parlementaire, comme Le Bloc de la foi et La Paix maintenant.

Un examen plus attentif révèle qu’à l’exception de quelques cas isolés, la plupart des manuels scolaires nient le fait colonial qui prévaut dans les Territoires occupés depuis 1967. Ce déni se manifeste de deux manières : d’une part, le peu de cas fait de ce qui s’est passé dans ces espaces dans les décennies qui ont suivi la guerre des Six Jours ; d’autre part, la normalisation de l’occupation. Dans les livres où elle apparaît, la colonisation juive dans les Territoires et le statut inférieur des résidents palestiniens sont présentés comme des phénomènes naturels et évidents, dont il n’est pas nécessaire de tenir compte. Dans ce contexte, une distinction doit être faite entre le déni simpliste qui prétend qu’il n’y a rien, et le déni interprétatif, plus complexe, basé sur le fait que le sujet qui se souvient « sait, mais ne sait pas non plus, ou bien, sait, mais ne veut pas savoir ou est incapable d’admettre qu’il sait » (10). De ce fait, le déni est subtil : il ne tient pas à l’affirmation que l’occupation n’existe pas, mais à la façon dont elle est absente du discours où elle aurait dû apparaître, ou à la façon dont elle est représentée dans le discours. Les faits concernant l’occupation sont visibles non seulement pour ceux qui parcourent la vaste littérature scientifique écrite à ce propos, mais aussi pour ceux qui lisent les journaux et suivent l’actualité dans les médias numériques. Pourtant, ils ne sont pas présents dans la plupart des manuels scolaires.

Le déni de l’occupation est doublement déroutant à la lumière de la référence à une autre question controversée dans l’histoire de l’État d’Israël : la guerre d’indépendance de 1948-1949 et la Nakba palestinienne. Alors que cette dernière est considérée comme un sujet particulièrement sensible dans le système éducatif israélien et que l’utilisation des livres qui en traitent est interdite dans les écoles, l’occupation n’est pas devenue l’objet d’une censure officielle. Pourtant, la position qui apparaît dans la plupart des manuels est celle d’un déni basé sur l’indifférence ou la normalisation. Cela peut s’expliquer dans un contexte d’autocensure par un évitement volontaire de fournir certaines informations. Ce phénomène, qui apparaît dans divers domaines de la société, a un certain nombre d’explications, dont l’une des plus importantes est la volonté d’éviter de nuire au groupe auquel appartient l’individu. Il est particulièrement néfaste dans l’éducation en raison de la capacité des adultes à influencer la conscience des adolescents. D’un autre côté, c’est peut-être la raison pour laquelle il est si répandu dans le système éducatif israélien : l’un des principaux rôles de l’éducation en Israël est de façonner la conscience des élèves conformément au récit sioniste officiel, et la reconnaissance de l’occupation pourrait y nuire.

Notes

(1) Ce texte a été rédigé en hébreu et traduit par Fabienne Bergmann.

(2) Orna Ben-Naftali, Michael Sfard et Hedi Viterbo, The ABC of OPT : A Legal Lexicon of the Israeli Control over the Occupied Palestinian Territory, Cambridge University Press, 2018.

(3) Élie Barnavi et Eyal Naveh, Les temps modernes. Partie B : 1920-2000, Sifrei Tel-Aviv, 1999, en hébreu.

(4) Ktzia Aviel-Tavivian, Un voyage au passé : le XXe siècle, Centre de technologie éducative, 2009, en hébreu.

(5) Moshe Bar-Hillel et Shula Inbar, Le Monde de la nation. Partie B : Construire un pays au Moyen-Orient, Lilakh, 2009, en hébreu.

(6) Devorah Giladi et Tehila Herz, Crises et renaissance, volume 3 : Le retour à Sion, Institut Har Bracha, 2016, en hébreu.

(7) Hanna Adan, Varda Ashkenazi et Bilha Alperson, Être citoyens d’Israël, un État juif et démocratique, Ministère de l’Éducation, 2000, en hébreu.

(8) Varda Ashkenazi, Être citoyens d’Israël dans un État juif et démocratique, Ministère de l’Éducation, 2016, en hébreu.

(9) Iris Greitzer, Zvia Fein et Meira Segev, Israël au XXIe siècle : Sujets choisis en géographie pour la division supérieure, Centre de technologie éducative, 2009, en hébreu.

(10) Bain Attwood, « Denial in a Settler Society : the Australian case », in History Workshop Journal, no 84, 2017, p. 24-43.

Légende de la photo en première page : Pour de nombreux élèves israéliens, l’histoire et la géographie de leur pays sont étudiées sans aborder ce qui arrive aux Palestiniens. © Shutterstock/Gil Cohen Magen

Article paru dans la revue Moyen-Orient n°56, « Liban : un État en voie de disparition ? », Octobre-Décembre 2022.
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