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Bound for Taïwan : comment ravitailler une île assiégée ?

Attaque des convois

Mais pour l’atteindre, il faut franchir la mer des Philippines. Quelles sont les menaces ? La flotte sous – marine s’impose dans l’imaginaire militaire comme populaire. La furtivité du submersible lui permet de se placer discrètement à pied d’œuvre pour attaquer. Aujourd’hui cependant, l’existence de moyens rapides, à longue portée et sans équipage permet de mener d’autres types d’attaques dans des eaux éloignées et hostiles. Ces moyens sont les missiles de croisière ou balistiques, et les drones. Les premiers ont fait leurs preuves au combat contre des convois, notamment dans le Golfe de 1980 à 1990, les deux autres pas encore, mais ont un potentiel certain.

L’aviation, engagée à Malte et à Guadalcanal, jouera aussi un rôle. Aujourd’hui, la DCA basée sur des systèmes de missiles peut assurer une défense de zone à longue portée, tâche réservée à la chasse par le passé. Cela implique qu’un raid aérien chinois visant un convoi en mer des Philippines ne pourrait survoler Taïwan sans s’exposer à une lourde attrition. Le passage nord est bloqué par les îles Ryu-Kyu qui procurent au Japon un vaste espace aérien. Reste le sud et le passage entre Taïwan et les Philippines. Seul accessible sans voler au – dessus d’une zone neutre ou hostile, il présente le désavantage de devoir baser les avions sur les terrains du sud de la Chine déjà sollicités par les opérations visant l’île de Taïwan elle – même. Outre l’attrition subie par le raid, son trajet implique qu’il sera certainement détecté en avance et permettra au convoi de préparer sa défense : mise en l’air d’avions, déploiement de leurres… De plus, l’aviation aura déjà nombre de missions à réaliser pour l’attaque de Taïwan : obtention de la supériorité aérienne, attaques d’infrastructures critiques et potentiellement soutien rapproché aux opérations amphibies. Pour toutes ces missions, l’aviation chinoise dispose d’appareils adaptés et d’un panel de munitions guidées. Pour l’attaque antinavire, elle dispose de 176 H‑6 en service, dont 40 en version antinavire H6‑J. Ces bombardiers permettront de tirer des salves importantes de missiles antinavires, en comparaison des appareils de chasse ou d’attaque qui emportent au mieux un seul missile de ce type. Les convois seraient donc la cible d’une attaque de bombardiers de l’aviation chinoise, escortés par des chasseurs et tirant à la portée maximale possible pour limiter les risques d’interception. Ce schéma d’attaque n’est pas récent : envisagé depuis près de 50 ans maintenant par les puissances américaine et soviétique, il n’a jamais connu de mise en œuvre au combat. Quoi qu’il en soit, il se résout par l’opposition tactico – technologique entre la saturation et les contre – contre – mesures des missiles attaquants, et la capacité de la défense à les brouiller, à les leurrer et à les intercepter.

La menace sous – marine est différente. Le renseignement préalable au conflit déterminera combien de submersibles sont susceptibles d’être positionnés à l’est de Taïwan. En revanche, le suivi de leurs opérations sera plus difficile au fur et à mesure que les navires effectueront leur rotation : de multiples méthodes (départs nocturnes, adaptation aux trajectoires des satellites) permettent de camoufler les départs des navires. Du côté taïwanais, 18 hélicoptères Seahawk et 12 P‑3C Orion offrent une solide capacité ASM, avec le support de 7 hélicoptères légers Hughes 500MD Defender. Mais trois facteurs viennent limiter leur action : la multiplicité des tâches pour les hélicoptères, d’une part, et des cibles pour les avions de patrouille maritime, d’autre part, fragiliseront la lutte ASM. De plus, la patrouille maritime devra être menée depuis des bases neutres (5) en majorité, en raison de la difficulté à maintenir les bases de Taïwan opérationnelles pour de si gros – et donc vulnérables – appareils. Cela pose deux difficultés. La première est d’ordre opérationnel. Peu de territoires américains ou taïwanais sont disponibles pour patrouiller en mer des Philippines, sauf à utiliser les îles philippines et japonaises. La deuxième est d’ordre politique, puisqu’elle implique que des militaires taïwanais opèrent des patrouilles anti – sous – marines pouvant mener à des attaques depuis des bases de pays neutres. Les soutiens du camp taïwanais sont-ils prêts à prendre ce risque ? Probablement oui, car la menace des submersibles chinois est, sur le papier, pléthorique : neuf sous – marins nucléaires d’attaque et 57 à propulsion conventionnelle, dont 43 à capacité de lancement de missiles antinavires. Un convoi peut sécuriser ses abords de lancements de torpilles grâce aux sonars embarqués sur les navires d’escorte, et surtout grâce aux hélicoptères ASM. Mais la menace des missiles à changement de milieu, à longue portée, est plus difficile à contrer. Si Taïwan dispose de bâtiments avec des capacités antiaériennes – quatre destroyers Kee Lung (62 RIM-66 Standard) et 10 frégates (RIM‑116 RAM, Sea Chapparal, RIM‑66) (6) –, ce nombre est insuffisant pour lutter dans le détroit de Taïwan, couvrir les approches de la côte et assurer une escorte de convois. Un choix devra être fait entre ces différentes tâches.

Enfin, reste la menace des missiles balistiques, voire des missiles hypersoniques. Le caractère récent et peu nombreux des deuxièmes fait qu’ils seront certainement limités à l’attaque de cibles de haute valeur, et ce d’autant plus qu’ils sont soumis à l’incertitude sur leur charge militaire (nucléaire ou conventionnelle). Ce problème s’applique aussi au missile balistique, mais la large communication autour des missiles balistiques spécialisés dans l’attaque conventionnelle, tels que le DF‑21 dans l’attaque antinavire, offre la possibilité de les tirer sans déclencher de méprise fatale. Reste la question du prix. Comme l’Irak et l’Iran l’ont appris à leurs dépens lors de la première guerre du Golfe, interrompre un flux de navires marchands déterminés dans leur mission s’avère difficile, car il s’agit d’une guerre d’attrition utilisant des armes d’attaque modernes et chères contre des navires moins chers que les cibles militaires. Les convois pour Taïwan échapperont donc peut-être à ce type de frappes lorsque la guerre l’opposant à la RPC laissera penser à cette dernière qu’elle peut l’emporter rapidement, avant que le renfort apporté par les convois ne puisse influer. Mais une telle appréciation ne pourra durer dans les états – majors. Contre les missiles balistiques, Taïwan ne peut offrir aucune défense active en mer. Tout reposera sur les capacités à leurrer le guidage terminal des missiles balistiques, un guidage terminal qui dépend du côté chinois de deux éléments : la capacité à connaître la composition du convoi avant la frappe, et les contre – contre-mesures utilisées lors du guidage terminal.

Enfin, une menace a priori peu susceptible de se concrétiser est constituée par la flotte de surface chinoise. Ses navires de grande taille (le destroyer Type‑055 est qualifié de croiseur) dotés de capacités antiaériennes et antinavires sont idéaux pour s’approcher d’un convoi, coordonner des frappes contre lui et son escorte, et se replier. Ils ont la capacité de poursuivre et d’achever un convoi disloqué. Ils seraient donc une arme idéale si, comme pour l’aviation, la géographie ne créait pas des passages obligés, et donc dangereux, que la flotte devra emprunter pour attaquer les convois. De plus, la marine de surface sera probablement la force la plus sollicitée pour escorter des forces amphibies. Pour ces deux raisons, la menace est peu susceptible de se concrétiser, du moins au début du conflit, tant que les capacités antinavires taïwanaises seront actives. Dans l’ordre, les convois seront donc probablement ciblés par les sous – marins, puis par les missiles balistiques (7), l’aviation et enfin la flotte de surface.

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