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La Chine, priorité stratégique de Washington

Face à une dégradation progressive et structurelle des relations entre la Chine et les États-Unis, les deux pays se considèrent aujourd’hui réciproquement comme leur principale menace extérieure, et on note à Pékin comme à Washington une hystérisation du débat sur les relations bilatérales.

En 2022, 82 % des Américains avaient une opinion négative de la Chine — un record —, contre 73 % en 2020 et 47 % en 2017 (2), et en mars 2021, 67 % des Américains considéraient la Chine comme un concurrent ou un ennemi (3). Dans une contribution au Washington Post publiée à son départ, l’ambassadeur de Chine aux États-Unis, Qin Gang, nommé ministre des Affaires étrangères, racontait son expérience américaine tout en prévenant : « Le temps passé ici me rappelle que les relations entre la Chine et les États-Unis ne devraient pas être un jeu à somme nulle dans lequel l’une des parties surpasse (out-competes) l’autre, ou une nation prospère aux dépens de l’autre. » (4) Cette critique de la stratégie de sécurité nationale américaine publiée en octobre 2022, qui résume la stratégie de l’administration Biden envers son principal concurrent par la nécessité de le « surpasser », intervient alors que les inquiétudes américaines envers la Chine ne cessent de s’accroitre.

Le triptyque « coopération, compétition et confrontation »

L’administration Biden, tout comme l’administration Trump auparavant, essaie d’équilibrer sa politique chinoise dans ce tryptique. Le secrétaire d’État Anthony Blinken résume d’ailleurs ainsi cette approche : « Nous rivaliserons avec confiance, nous coopérerons partout où nous le pourrons, nous serons en désaccord là où nous le devrons » (5). Mais très clairement, la compétition et la confrontation sont de plus en plus importantes, et ce dans au moins quatre domaines distincts mais qui se chevauchent : militaire, économie, technologie, et gouvernance. La différence principale entre les deux administrations ne porte donc ni sur la priorité — la Chine —, ni sur les objectifs recherchés — conserver la primauté américaine —, mais sur la méthode. L’administration Biden entend adopter une approche plus multilatérale et coopérative afin de s’assurer du soutien de ses alliés et de ses partenaires dans les théâtres transatlantique et indopacifique, ce qui ne veut pas dire pour autant que Washington ne fait pas pression sur ces derniers.

Sans utiliser le terme de « menace », la Chine est présentée comme le « défi à long terme le plus sérieux pour l’ordre international ». Du point de vue américain, les capacités considérables de la Chine — capacités qui continuent de s’accroitre bien qu’à un rythme plus lent qu’auparavant —, associées à une volonté du Parti communiste chinois de façonner un ordre international favorable à ses intérêts, constituent un risque sans équivalent depuis la guerre froide. Ainsi, dans la stratégie de sécurité nationale, non seulement la République populaire est présentée comme « le seul concurrent ayant à la fois l’intention de remodeler l’ordre international et, de plus en plus, la puissance économique, diplomatique, militaire et technologique pour le faire » mais aussi comme un pays ayant l’ambition de « créer une sphère d’influence accrue en Indo-Pacifique ».

Au niveau multilatéral, Washington investit également massivement dans le format G7. Dans le dernier communiqué des ministres des Affaires étrangères adopté au Japon en avril 2022, la Chine occupe une place importante. Et si les partenaires reconnaissent qu’il est important d’engager un dialogue franc et de collaborer avec la Chine sur les défis mondiaux, les préoccupations sont de mise, et ce dans presque tous les domaines : diplomatiques, économiques, militaires, etc. 

L’enjeu technologique

Si la « trade war » a fait l’objet d’une attention considérable durant l’administration Trump, c’est bien la « tech war », cette confrontation technologique, qui aujourd’hui structure en partie la relation bilatérale. Les ambitions chinoises dans ce domaine sont claires, explicitement mentionnées — devenir la « première puissance de l’innovation » d’ici 2050 — et légitimes. La Chine est pleinement consciente de sa dépendance à l’égard des technologies occidentales et cherche à atténuer cette vulnérabilité. Elle investit massivement afin de ne pas être « confrontée à des risques de surprise technologique et d’écart technologique générationnel croissant », comme le Livre blanc sur la Défense nationale de 2019 le demandait. 

Dans ce cadre, la Chine a fait de l’intégration civilo-militaire une stratégie nationale en 2015, le secteur civil et notamment privé pouvant non seulement contribuer à l’effort de défense mais surtout renforcer les capacités d’innovation. Les mesures récentes sont nombreuses et visent, entre autres, à accélérer les transferts de technologie du secteur militaire au secteur civil (« spin-off »), et du secteur civil au secteur militaire (« spin-on »), et ce à tous les niveaux administratifs — national, provincial comme municipal. Cela passe aussi par l’acquisition de technologies étrangères, par tous les moyens y compris des moyens illicites, et pose la question à tous les pays de la nécessaire protection de leur potentiel scientifique et technologique. Car sans tomber dans l’excès, il est impératif d’avoir conscience du risque d’instrumentalisation des investissements, des échanges universitaires, et des coopérations scientifiques et techniques au service de la captation de technologies étrangères, parfois dans des domaines sensibles.

Face à ces ambitions, les États-Unis multiplient les mesures. Un premier tournant a été réalisé en 2018 par l’administration précédente avec l’adoption d’une loi sur la modernisation de l’examen des risques associés aux investissements étrangers (FIRRMA) afin de protéger les entreprises, les technologies et les infrastructures critiques américaines des investisseurs et fournisseurs chinois. Une loi sur la réforme du contrôle des exportations (ECRA) vise quant à elle à empêcher la Chine d’avoir accès à des technologies sensibles que les États-Unis soupçonnent de pouvoir être utilisées à des fins militaires, par le biais de la publication d’une liste noire des exportations (6). Un cadre pour le contrôle des exportations de technologies clés et de produits connexes ciblant la Chine, et ce dans 14 domaines technologiques de pointe, allant de la biotechnologie à l’intelligence artificielle en passant par l’informatique quantique et la robotique, a alors été mis en œuvre (7).

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