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La France après la LPM : un partenaire crédible pour les Européens ?

Après l’invasion de l’Ukraine, alors que les États-Unis augmentaient leur présence en Europe centrale et orientale de 5 00 à 24 00 hommes, le déploiement français dans la région passait de 350 à (environ) un millier d’hommes. Pour permettre le déploiement de nos quelques chars Leclerc en Roumanie sans mettre davantage en danger le niveau d’entraînement de nos tankistes il a fallu retirer ceux qui se trouvaient jusqu’alors en Estonie. Si le déploiement rapide d’un groupement tactique interarmes en quelques jours est une performance notée par nos alliés, ceux-ci ne peuvent manquer d’observer que la France ne dispose pas de beaucoup d’équipements pour remplacer ceux qui sont présents sur le théâtre, et ne pourrait pas faire face à une attrition de ses moyens. Ainsi, la France ne dispose plus que de neuf lance-roquettes unitaires(8). Si les trois déployés en Roumanie venaient a être détruits, ils ne pourraient pas être remplacés. Dans notre hypothèse d’engagement majeur, la France estime pouvoir déployer (sans préciser sous quels délais) une division à deux brigades interarmes. S’il s’agit d’un réel effort, on peut se demander si la soixantaine de chars Leclerc déployables (si l’on est optimiste) seraient suffisants s’ils étaient engagés au combat. Puisque nos alliés, comme nos adversaires probables, n’ignorent pas cette faiblesse, ils en tiendront également compte quand ils jugeront la crédibilité de la garantie de sécurité offerte par la France.

Des changements positifs et des forces, réelles, à mieux faire connaître

La LPM apporte malgré tout quelques points positifs pour les pays alliés. Notamment du côté de l’amélioration de la disponibilité des forces. Lorsque la France déclare vouloir « disposer d’une division à deux brigades de 10 00 à 12 00 hommes, en autonomie complète, afin de former un corps d’armée en coalition d’ici 2030(9) », elle dispose de facto de tout un ensemble d’éléments qui permet de rendre cette déclaration audible par nos alliés. Si le manque d’équipements majeurs a déjà été évoqué plus haut, il ne faut pas oublier que la France est l’un des rares pays à disposer d’un état-major de corps d’armée aux normes OTAN, sous la forme du CRR‑Fr, et de tout un ensemble de capacités permettant de réellement le mettre en œuvre. Si d’autres pays peuvent aligner un plus grand nombre de troupes ou d’équipements, cela reste non négligeable. Des exercices majeurs tels qu’« RION 23 » permettent de faire connaître cette capacité. Des entraînements chez nos partenaires rendront crédibles notre aide et notre réactivité. La France est par ailleurs riche d’une expérience opérationnelle reconnue, et d’unités riches de compétences parfois rares, souvent précieuses.

La France pourrait ici bénéficier de plus de clarté dans sa communication à l’égard de ses alliés : en dehors de l’Allemagne, rares sont les pays européens qui ont pris la peine de simplement déclarer quelles sont les forces désignées pour intervenir dans le cadre du NATO force model (NFM), ainsi que le délai de déploiement de ceux-ci. Le rapport annexé à la LPM 2024-2030 présente bien un « échelon national d’urgence renforcé  » de plusieurs modules, ainsi que d’un « complément en cas d’engagement majeur  », mais celui-ci n’a simplement pas été traduit de façon à être directement lisible en format OTAN. Le volume d’un GTIA reste ainsi étranger à certains de nos partenaires, et beaucoup ignorent que nos brigades sont plus étoffées que celles d’un bon nombre de nos alliés européens. Un simple exercice de traduction de ces formats et la communication des délais de déploiement couperaient court aux critiques mal intentionnées et éviteraient des malentendus. Une plus grande transparence permettrait également de provoquer celle de nos partenaires, et de mieux souligner les lacunes de certains, plus critiques mais moins généreux.

La France ou l’Allemagne sont tout sauf les seuls pays d’Europe occidentale à avoir une disponibilité haute de leurs équipements majeurs, et la LPM souhaite justement porter l’effort de ce côté. Les difficultés qu’ont eues certains pays à livrer quelques chars Leopard 2 à l’Ukraine illustrent assez bien leurs problèmes, trop souvent discrètement mis sous le tapis. La publication de nos chiffres permettrait d’abord à nos citoyens de suivre l’amélioration de la situation, mais aussi d’appeler nos alliés à faire de même, permettant d’entraîner un cercle vertueux, tant sur le plan de la transparence démocratique que sur celui de la préparation réelle de nos forces.

Quelques possibles voies d’améliorations

Puisque la France ne changera probablement pas radicalement de modèle dans les prochaines années, il faut peut-être étudier la modification de quelques éléments pour améliorer la perception par nos partenaires de notre rôle dans l’Alliance. Pour le dire autrement : conserver un modèle d’armée complet, mais renforcé par endroits pour apporter à nos alliés les moyens dont ils expriment le besoin. Et pour le dire encore autrement, mais peut-être plus directement : ne plus chercher à rejoindre les États-Unis, mais fournir des capacités clés, pour lesquelles nos alliés nous seront directement reconnaissants (10).

Ainsi, le Danemark ne dispose pas de toute la gamme de la défense antiaérienne. Du fait de sa petite taille et de sa faiblesse démographique, il n’en a simplement pas les moyens. Il a donc fait le choix de se concentrer sur certains éléments et espère recevoir les autres de la part de ses alliés, en cas de conflit. D’autres pays ne disposent pas de moyens de guerre électronique, de suffisamment de moyens du génie, et rares sont ceux qui disposent de toute la gamme des moyens ISR(11). Il est à noter qu’ils espèrent simplement ces moyens. Ils n’espèrent pas que ceux-ci viennent de la France spécifiquement ils en ont simplement besoin. Puisque la France espère encore être une nation-cadre en coalition, c’est sans doute ici qu’elle doit gonfler ses moyens au cours des prochaines décennies.

Dans la structure des divisions françaises actuelles, les régiments directement rattachés aux divisions, indépendants de toutes brigades, sont de bons exemples de ce qui pourrait être fait. Ils comprennent le régiment de défense aérienne (le 54e régiment d’artillerie), et l’unique régiment doté de moyens de frappe à longue distance, le 1er régiment d’artillerie. Pour être perçue comme complète par les états-majors de l’Alliance, chacune des deux divisions devrait théoriquement disposer, en propre, d’un bataillon de chacune de ces capacités.

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