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Les risques géoéconomiques du changement climatique

Quel cout économique et financier pour le changement climatique ? L’adaptation des sociétés à une nouvelle donne climatique et la transition vers un nouvel modèle économique plus durable, couplés aux évènements climatiques extrêmes en cascade, débouchent sur une situation globale où les risques géoéconomiques sont décuplés.

Le Rapport du Forum économique mondial sur les risques globaux en 2023 (1) constate que la prochaine décennie sera caractérisée par des crises environnementales et sociétales dont le trait majeur est un état de « confrontation géoéconomique » et de « guerre géoéconomique ». Le changement climatique modifie les rapports de force entre les acteurs de l’économie mondiale — au-delà des États, les entreprises, les ONG et les acteurs de la vie sociale. L’intelligence de ces situations nouvelles, inédites, « invisibles » ou cachées souvent, s’opère alors dans un contexte de « grande transformation », d’incertitude et de chaos stratégique. Les risques géoéconomiques du changement climatique sont d’autant plus saillants que ce dernier pose au moins deux défis inédits aux décideurs et aux sociétés. En premier lieu, notons l’ampleur de ses impacts physiques sur les continents, les entreprises, les sociétés : les couts économiques et financiers résultent de l’intensité et de la fréquence des évènements climatiques extrêmes, mais aussi de l’amplitude de la transition vers un nouveau modèle économique. La grande transformation qui s’impose rebat les cartes de l’économie mondiale. L’offre en sera durablement pénalisée. En second lieu, le changement climatique se caractérise par l’irréversibilité de ses effets et de leur évolution. 

Pour conduire notre analyse, nous tenterons dans une première partie de qualifier le contexte dans lequel les rapports de force géoéconomiques se déploient. Dans une seconde partie, nous explorerons les risques géoéconomiques du changement climatique à partir de la grille du Forum économique mondial. En conclusion, nous esquisserons l’issue.

« Le brouillard de guerre climatique »

Nous vivons une situation d’interrègne entre un vieux monde et son modèle économique qui disparait en abandonnant « des actifs échoués » et le nouveau qui surgit, illisible et chaotique, tardant à organiser sa régulation. « L’incertitude de toutes les données » et le manque d’information créent « le brouillard de guerre » clausewitzien, rendant « nos intelligences aveugles ». « L’incertitude est radicale », la prévision empêchée. Une autre métamorphose vient mettre à mal notre capacité à décider, à se projeter et à agir. Nous sommes confrontés à une situation inédite de polycrise. L’indispensable reconfiguration de l’économie-monde s’opère dans un contexte de crises disparates — changements radicaux des modèles énergétiques et productifs, crises climatique, environnementale, géopolitique, socio-économique — qui interagissent de telle sorte que l’impact global dépasse de loin la somme de chaque partie. Le risque devient imprévisible. Par ailleurs, la confrontation géoéconomique s’inscrit dans une nouvelle forme de conflictualité que le général Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées, décrit à travers trois états (2). La compétition consiste à modeler à son avantage les dynamiques relationnelles et cognitives. La contestation se traduit par la déstabilisation et la disruption pour « atteindre les moyens de recherche et de production de l’adversaire, créer des dépendances et accentuer celles existantes ». L’affrontement vise à détruire par tous les moyens et anéantir. Enfin, les risques géoéconomiques du changement climatique surgissent au cœur de la nouvelle mondialisation « régionalisée » et « fragmentée ». La contestation du pouvoir-monde s’exprime à travers de nouvelles sphères d’influence donnant « la capacité à d’autres puissances d’exiger la déférence d’autres États dans leurs propres régions ou à y exercer un contrôle prédominant » (Graham Allison). 

Changement climatique, rapports de force géoéconomiques et risques

Le monde est entré dans un état de confrontation géoéconomique défini par les analystes du Forum économique mondial comme « le déploiement de leviers économiques par des puissances mondiales ou régionales pour découpler les interactions économiques entre les nations, à travers des actions d’endiguement visant les biens, les connaissances, les services ou les technologies dans le but d’obtenir un avantage géopolitique et de consolider les sphères d’influence ». Sans exclusive, les leviers sont : les mesures monétaires, les contrôles des investissements étrangers, les sanctions, les aides d’État et les subventions, ainsi que les contrôles commerciaux sur l’énergie, les minerais et la technologie.

La quête d’investissement pour financer la transition

Le changement climatique et ses effets engendrent des différentiels de croissance. L’action climatique rendue urgente par l’état de « surprise stratégique » permanent crée des chocs macroéconomiques majeurs, en premier lieu un choc de l’offre négatif vers un régime de stagflation. Concernant la France, mettre fin au modèle de croissance tirée par l’énergie fossile va nécessiter d’investir 66 milliards d’euros par an d’ici sept ans (Jean-Pisani-Ferry), autant d’investissements qui ne financeront pas les autres politiques publiques et fragiliseront durablement le pays dans les rapports de forces géoéconomiques. 

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