Magazine Diplomatie

Jeux olympiques 2024 : vers un nouvel ordre mondial du sport ?

Qatar, Arabie saoudite, Chine, Russie… Ces nouvelles puissances du sport, issues du « Sud global », disposent de leurs propres représentations du sport. Pour le Qatar, il s’agit avant tout d’un outil lui permettant d’« exister sur la carte » et de faire des affaires. Pour l’Arabie saoudite, l’objectif est de s’imposer comme un pôle de pratique sportive de haut niveau incontournable afin de penser l’après-gaz et l’après-pétrole. Pour la Chine, le sport est un moyen de devenir la première puissance mondiale d’ici 2049 afin de fêter le centenaire de la révolution maoïste. Pour la Russie, enfin, Vladimir Poutine ambitionne désormais de construire un nouvel ordre mondial du sport, non occidental. 

Ce morcellement du sport mondial est dû à trois facteurs. D’une part, le sport moderne est né en Grande-Bretagne au XIXe siècle tandis que les JO et le CIO sont le fruit de Pierre de Coubertin, aristocrate français. En d’autres termes, la structure et l’essence du sport mondial reposent sur des représentations occidentales. Or, cet état de fait n’a rien de naturel. Le sport n’est pas un usufruit. Il n’appartient à personne. D’autre part, la démographie et l’économie mondiales se diversifient et s’équilibrent avec l’Occident depuis la chute de l’URSS. Aujourd’hui, 80 % de la population de la planète vit dans les pays des Suds, et le PIB des BRICS représente 31,5 % de l’économie totale. Dans ce contexte, nous assistons à un équilibrage des rapports de force à l’échelle mondiale. Enfin, le sport moderne est construit sur un hiatus originel qui le rend malléable et flottant : la « politique de l’apolitisme » (3) et le « piège de Coubertin » (4).

Depuis la réapparition des JO modernes en 1896, les grandes institutions du sport moderne reposent sur l’idée selon laquelle le sport et la politique doivent être séparés. Néanmoins, le nationalisme inhérent aux confrontations sportives et la politisation du sport par les institutions qui le contrôlent rendent caduc cet état de fait. Dès lors, un certain nombre d’acteurs rappellent régulièrement l’apolitisme du sport tout en s’en servant comme un instrument… politique. Lorsque le CIO appelle à l’exclusion de la Russie du concert des nations sportives mondiales au lendemain de l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022, il politise le sport. Quand Xi Jinping fait venir Vladimir Poutine à Pékin pour la cérémonie d’ouverture des JO 2022 alors que la Russie est exclue de l’événement, il politise le sport. Au moment où Vladimir Poutine appelle à la dépolitisation du sport mondial alors qu’il en fait lui-même un instrument politique (5), il politise le sport. En d’autres termes, le sport est un fait social qui nous concerne toutes et tous et, par voie de conséquence, il constitue donc un objet politique qui ne peut être ignoré.

La désoccidentalisation du sport mondial ne fait que commencer. Bien que les puissances occidentales conservent une certaine influence, la diversification croissante du domaine sportif témoigne d’une multipolarité grandissante. Ainsi, le sport devient un champ de bataille où se confrontent les rivalités entre l’Occident et le reste du monde, au milieu desquelles le mouvement sportif mondial, sous influence des uns ou des autres, essaie de jouer le rôle d’arbitre. Cette nouvelle géopolitique du sport est inédite dans l’histoire du monde contemporain. La question qui s’impose est donc la suivante : le mouvement sportif mondial réussira-t-il à s’adapter à ce nouveau monde avant que le Sud global ne l’y oblige ou que l’Occident ne s’effondre ? Ou inversement. En d’autres termes, la mutation du sport se fera-t-elle de façon pacifique dans une logique de rééquilibrage des rapports de force ou passera-t-elle nécessairement par le conflit ?

Enfin, il reste une question, presque un problème philosophique. Si le sport mondial se désoccidentalise, son essence (ses pratiques, ses rituels, etc.) reste pour le moment occidentale. Dès lors, les pays du Sud peuvent-ils participer à la désoccidentalisation du sport sans s’occidentaliser eux-mêmes et finalement subir — de façon rétroactive — le soft power sportif occidental ?

Notes

(1) Marcel Mauss, Essai sur le don : forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, Paris, PUF, 1924, réédition 2010.

(2) Jean-Pierre Augustin, Géographie du sport : spatialités contemporaines et mondialisation, Paris, Armand Colin, 2007.

(3) Jacques Defrance, « La politique de l’apolitisme. Sur l’autonomisation du champ sportif », Politix, 2000/2 (n° 50), p. 13-27.

(4) Lukas Aubin et Jean-Baptiste Guégan, La guerre du sport : une nouvelle géopolitique, Paris, Tallandier, 2024.

(5) Lukas Aubin, La sportokratura en Russie : une géopolitique du sport russe, Paris, Bréal, 2021.

Légende de la photo en première page : En juillet 2024, la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Paris devrait réunir plus de 10 000 athlètes et se dérouler sur la Seine, entre le pont d’Austerlitz et le pont d’Iéna. Le 15 avril 2024, Emmanuel Macron ajoutait que la prise en compte de la menace terroriste obligeait à considérer diverses options pour cette cérémonie d’ouverture. (© Paris 2024/Florian Hulle)

Article paru dans la revue Diplomatie n°128, « La poudrière caucasienne : Géorgie, Azebaïdjan, Arménie », Juillet-Août 2024.
0
Votre panier